La  WNBB, nouvelle fédération de culturisme,  mais de quel culturisme ?

25 novembre 2017        version pdf  


  

Créée le 6 juillet 2017, après à peine 4 mois d’existence, la jeune fédération internationale de culturisme naturel, nommée WNBB (World Natural BodyBuilding), vient juste de réaliser son premier et fondateur championnat du monde.  Un grand moment ! 7 pays étaient représentés, dont 5  à travers l’adhésion de fédérations nationales (France, Espagne, Belgique, UK, Afrique du Sud) ou régionales (Catalogne) venues en force avec leurs équipes. Par exemple la délégation Espagnole ne comptait pas moins d’une trentaine d’athlètes. La délégation française constituée de l’élite de la FCPCN en comportait  une quarantaine. Au total, 107 athlètes ont participé ; c’est peu pour une fédération internationale ;  c’est beaucoup une fédération aussi  jeune, issue des  errements d’une UIBBN en plein désarroi,  et dont les fédérations nouvelles adhérentes  sont toutes des transfuges.

 

La nouvelle fédération est présidée par la France et la Belgique et affirme sur son site http://www.wnbb.eu ,  que « le Culturisme Naturel et l’organisation de Compétitions d’ampleur est au centre de nos préoccupations. ».  De bonnes intentions, mais la question est, toujours et encore, comment développer le culturisme dit « naturel », c’est à dire issu de bonnes pratiques sportives et nutritionnelles. Le site de la fédération reste encore imprécis sur ces objectifs, et la tâche est vraiment très ardue.  D’un côté, il y a pléthore de fédérations internationales, qui, toutes, clament que leurs athlètes sont « propres ». Il y en a déjà une vingtaine (voir plus bas). D’un autre côté on peut et doit se demander comment est-il vraiment possible de promouvoir et développer un culturisme  vraiment  « naturel » au niveau mondial.

Pour ma part, je vois deux points qui me paraissent fondamentaux : la nature du sport pratiqué par les adeptes du culturisme et  la dérégulation complète au niveau mondial de l’activité « culturisme ». Pour mieux éclairer mon point de vue, il faudrait un long développement ; je me limiterai ici à quelques remarques d’orientation.

 

Nature du sport pratiqué

Trois types d’activité physique sont représentés en compétitions nationales et  internationales, dénommés « culturisme », « fitness » et « athlétique ».  Ces distinctions, présentées comme des catégories particulières du culturisme, sont en fait les prémisses de trois disciplines. La discipline « culturisme »  peut se définir comme le développement physique et esthétique du corps à travers en entrainement  physique combiné à une discipline nutritionnelle. La discipline « fitness » correspond essentiellement à des activités gymniques, associées à un corps harmonieusement développé. Enfin le la discipline « athlétique » est déclinée de différentes manières allant de la recherche d’un corps harmonieux plus ou moins vêtu, au mannequinat avec présentation des athlètes complètement habillés, en tenue de soirée.  La WNBB a repris ces trois « catégories » (culturisme, « body move » et athlétique) que l’on retrouve dans la plupart des fédérations internationales. Les raisons le plus souvent invoquées sont essentiellement que le culturisme naturel peine à se développer, que le fitness permet d’attirer plus de femmes et que la catégorie athlétique, proche du mannequinat, attire beaucoup de jeunes. Le développement du culturisme « naturel » passerait donc essentiellement par le développement des deux nouvelles catégories « fitness » et « athlétique ».

Mais c’est oublier les raisons économiques et sociales qui ont conduit à l’introduction et au développement  de ces « nouvelles » catégories dans pratiquement toutes les fédérations internationales et organisations nationales. Mais avant d’aller plus loin, il faut  regarder comment cela  se passe au niveau mondial.

 

 

Dérégulation complète du culturisme au niveau mondial

Au niveau mondial, on ne  compte pas  moins de 20 « fédérations » internationales.  Souvent ces organisations sont le fait d’un seul entrepreneur qui organise  de grands spectacles  dans différents pays avec l’aide d’associations locales. L’exemple type est celui de Musclemania  qui fait payer cher leur engagement aux athlètes, mais qui, en échange, offre  à  ceux-ci  une visibilité internationale  supposée leur ouvrir une possible carrière professionnelle. Musclemania est une entreprise qui fonctionne bien, chaque « show » étant assuré au moins de s’autofinancer par les seules inscriptions des athlètes à un nombre toujours plus grand de catégories, ouvrant ainsi le champ des possibilités et augmentant d’autant le chiffre d’affaire. Les contrôles anti-dopage officiellement, et parfois réellement, pratiqués ne sont en fait qu’une façade. Si des échantillons d’urine sont effectivement prélevés auprès des athlètes, rien ne diffuse quant à leur utilisation, les analyses qui sont effectivement faites, ni leurs résultats. Ce « business  model »  ne fonctionne que grâce aux  dispositions d’athlètes d’un pays ou d’une région à payer  cher leur participation, en échange de la promesse hasardeuse d’une promotion internationale. L’entreprise a donc un intérêt évident à multiplier les catégories tout en mettant en avant les athlètes les plus « spectaculaires ». C’est en effet leur image attrayante et très médiatisée qui  permettra  d’attirer du public et donc de réaliser de bonnes recettes. Et ceci fonctionne, même si les invités vedettes font défaut le jour du spectacle…

 

Ce modèle est développé  partout dans le monde et en France par toutes sortes d’entrepreneurs.  Le cas le plus connu est bien sûr celui de l’IFBB avec sa compétition de culturistes professionnels « Olympia », dont les athlètes époustouflants  sont  chargés comme des mulets et gavés de  produits Weider & Co dont ils servent la promotion commerciale.

La multiplication de catégories à succès par ces fédérations internationales n’a qu’un objectif : servir les intérêts d’une entreprise commerciale. Il existe bien sûr des entrepreneurs  qui veulent faire du « business » tout en promouvant un sport sain. Ceux-là ne pourront que rester petits  face aux géants de la distribution de poudres de perlimpinpin que sont les grandes fédérations internationales. Leur  communication est trop puissante et leurs moyens l’emporteront toujours sur la bonne volonté.

Croire que la sortie passe par la création de nouvelles catégories plus attirantes  les unes que les autres, est une illusion.

 

Que faire alors ?

D’abord bien comprendre quel  sport  se cache derrière l’activité « culturisme ».  Si l’on admet que La discipline « culturisme »  peut se définir comme le développement physique et esthétique du corps à travers en entrainement  physique combiné à une discipline nutritionnelle,  il devient clair que la catégorie dite « athlétique » est une catégorie de débutants. Son succès  - s’il en est un – vient du fait que le niveau musculaire requis pour entrer dans une telle catégorie est  plus facile à acquérir.  L’aspect « Apollon » requis séduit  beaucoup de jeunes, et l’absence de posing requis en facilite aussi l’accès. C’est le type même de forme compétitive qui convient habituellement aux compétitions « premiers pas ». Le succès auprès du public traduit surtout me semble-t-il l’engouement de celui-ci pour des physiques « normaux », loin des spectacles de foire qui font le buzz dans les réseaux sociaux et parfois dans les médias, qui n’en disent  pas toujours du  bien, loin s’en faut.

Mais si les catégories « athlétique »  peuvent être vues comme des catégories de culturisme, niveau débutant, que signifie  alors de les conserver au plus haut niveau (championnat du monde) ? De mon point de vue, c’est une erreur et un non-sens.  Si l’on veut promouvoir un sport nommé « culturisme » (l’adjectif « naturel » va alors de soi), il n’y a pas  lieu d’avoir une telle catégorie surtout au plus haut niveau.  Si toutefois on veut pouvoir montrer de « beaux » corps et leur faciliter l’accès aux professions de mannequin, pourquoi  alors ne pas créer un concours parallèle, jugé avec des jurys qualifiés pour ce type de sélection. On pourrait aussi penser à développer une filière parallèle avec d’autres modes de jugement et qui faciliterait les contacts entre les professionnels de la mode intéressés au recrutement corps musclés.  Il reste cependant à vérifier que les recruteurs du mannequinat  ont vraiment besoin de tels concours pour leur recrutement. Ne leur suffirait-il pas alors d’assister  aux compétitions de culturisme ?

Conclusion provisoire

Les déboires de l’UIBBN, qui, rappelons-le, a connu une période de meilleur succès, ne viennent pas simplement de problèmes d’organisation interne.  Il s’agit d’une régression progressive dont on doit chercher l’origine ailleurs. Je serais plus enclin à trouver  l’origine de ses  difficultés dans la concurrence internationale et l’extrême difficulté qu’il y a à promouvoir mondialement un sport « culturisme » sain, et à disposer des moyens pour le faire.

Croire que la voie efficace consiste à multiplier les catégories en s’éloignant de l’activité sportive, qui constitue le cœur de métier des clubs et des salles de musculation où les athlètes s’entrainent, est une fausse piste. Imiter le modèle des autres fédérations, qui montre jusqu’à la nausée son  inefficacité quant à développer une discipline sportive propre et susceptible de séduire le monde du sport, ne peut que conduire à un échec.  Non, pour sortir d’une telle impasse, si toutefois cela est encore possible, une nouvelle fédération se doit d’être LA fédération d’un unique sport clairement  défini. Elle doit se consacrer exclusivement à la promotion de l’image qui lui correspond, à savoir un culturisme « naturel », en fait le « culturisme » tout simplement.

 

 S’il n’y a pas d’inconvénient en principe à ce que les fédérations nationales  puissent être pluri-disciplines, on attend d’une fédération internationale un autre objectif, un objectif fédérateur et promoteur d’un sport bien défini, où l’activité sportive prime sur le spectacle. Une nouvelle fédération internationale - puisque manifestement, une telle  marque de fabrique n’existe pas encore – doit être en capacité de promouvoir et imposer une autre image, une nouvelle image de marque qui soit acceptable pour le monde sportif, associatif et olympique.  Cet objectif sera atteint  lorsque, par exemple, on verra du culturisme vrai  participer aux  jeux mondiaux (« World Games »). Voilà, pour ne citer que celui-là, un objectif digne d’une nouvelle fédération, un objectif que l’on aimerait voir clairement mis en avant, un objectif sportif d’abord.